Poème en prose tiré du projet musical ‘Empire d’Akenos’ (2024)

                                                                                                      DEFERLANTE

                                                                                                        —————

Les rêveries déguerpissent à l’aube du soir; je me rabats contre le mur, les bras défaits dans la cage des averses.

Je suis de ces animaux oubliés qu’aucune âme ne songe à venir traquer..

La nuit est lasse, remue à peine ses hochets; je parcours en silence le vestige des fêtes éteintes, restant là sans mot à contempler la présence du fleuve muet.

Au loin, ils vont et viennent, creusés de vent, le visage gagné par l’érosion des rives et moi je ne sais plus guère que marcher en biais le long du quai magnétique des fatigues..

Tel un haillon d’écume cherchant le corps des vagues, je te croise encore dans mes rêveries.. Je ne suis guère qu’un arpenteur de songes casqué de musiques.. Jadis bienheureux, j’étais le doux buvard du timbre de ta voix. A présent, je suis un jour de pluie dilué dans les gouttières des places vides..

Au loin de la jetée j’aperçois le signal d’un feu pâle: aucune île ici n’apprivoise le large, sinon l’haleine lente des marées noyées dans leur lit d’algues rouges.

Une conque sculptée attend sa résonance tandis qu’un lait de lune infuse aux fenêtres. J’ai gardé dans l’ombre le pollen des regards, posant ma tête sur un nom, un sein, une colline, à rêver d’orangers et d’oliviers fleuris dans un patio de ciel plus bleu que ceux d’Occitanie.

Sur la vaste plage, une chaise vide attend plantée face à la mer et j’hésite à retourner chérir la chair des épaves..

La terre a des odeurs de femmes qui s’éveillent; je caresse en silence chaque fragment de souvenir assoupi à l’ombre des robes déployées. Je me retourne sur ta silhouette fantomatique tandis que la nuit veille à me reprendre promptement dans ses filets grisants.

Demain, j’irai trouver la nymphe aux grands yeux vagues qui portera à ma bouche le maïs qu’on cultive au-delà de l’horizon suprême. J’irai détricoter dans ma petite véranda la calligraphie des astres et des troupeaux. J’irai faire un dernier tour dans le petit bois des pâles échos, à humer le chaos des détonations les mieux éteintes..

Les poteaux de plage se démâtent doucement; mes nacres sont striées aux éraillures des mirages et je reviens frapper tous mes vieux coquillages au pont rugueux des idéaux.

Mon fidèle destrier a gardé l’encolure audacieuse de l’enfance. Je galope sur les prairies ouvertes où foisonne l’instant. Sache que j’appartiens aux mondes qui se chevauchent, entre l’écume et l’arbre, entre l’écorce et l’eau.

Toi qui de moi ne voulais rien pétrir, voici pourtant l’écorchure de ta chemise et l’écaille de ta langue; je te fais goûter la nacre en plein jour, un arc en ciel tout blanc plus brillant qu’un rebord de miroir..

De la lustrine au vernis, tu m’as embrassé jusqu’à détremper les derniers pigments de mes lèvres meurtries. Je veux que tu m’imprimes encore chaque petit détail minéral de toi afin de porter la trace de tes ricochets.

J’aime ta façon de passer ta main dans les plis ouverts d’un linge propre; tu es l’innocente caresse du rameau qui converse avec la brise..

Mon ambre, ma douce ardoise, mon vin de perle, chaque jour je te brasserai comme une couleur à extraire.